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MARQUIS DE SADE — AN VIII.
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m’avez mis entre les mains d’un fou, qui vient de m’écrire : « J’ai de l’argent à vous, mais je prends sur moi d’en retarder l’envoi…… »

Et quand me dit-il cela, cet extravagant en délire ? C’est quand je meurs de faim, c’est quand toutes ressources me sont enlevées ! C’est quand je suis à l’hôpital… sans habit… sans un malheureux denier en poche ! À quel point de férocité êtes-vous donc tous parvenus, pour me laisser ainsi dans le malheur et dans le désespoir ? Envoyez-moi de l’argent, je vous en conjure, et faites lever le séquestre d’Arles par votre éternel et ennuyeux Fabri, et, si tout cela n’est pas fait dans huit jours, celle-ci est mon dernier adieu.


Le marquis ne peut concevoir que Charles Gaufridy se soit rendu à Arles après la levée du séquestre et n’en ait pas rapporté de l’argent. (27 nivôse).

……N’est-il pas plus qu’inconcevable que vous alliez à Arles et que vous n’y touchiez pas l’argent qui m’est dû pour me le faire à l’instant parvenir, et cela parce qu’il fait froid ! Pauvre petit abbé Charles ! On voit bien qu’il est soldat du pape ! Il ne sort point par le mauvais temps. Et moi ? N’étais-je pas plus à plaindre que vous ? Sans feu, à l’hôpital, sans manger que le dîner des pauvres ! En vérité, vous me faites rire ; il fallait partir cet été pour cette expédition. Et faire marcher plus vite votre abominable Fabri, et vous n’auriez pas eu froid. Pendant ce froid cruel, dont vous vous plaigniez, madame Quesnet marchait tous les jours pour votre frère de Grenoble, et elle ne s’en est jamais plaint. Mais c’est qu’à Paris nous ne sommes pas des poules mouillées, comme en Provence. J’ai eu bien plus peur pour vous des brigands que du froid ; votre père, pendant ce temps-là, m’avait écrit pour me communiquer ses inquiétudes, et je suis fort aise que vous soyez de retour sain et sauf.

Au reste il faut cacher avec grand soin aux créanciers, et même à tout le monde, cette levée de séquestre. On me le recommande fort ici et c’est l’essentiel……


Le marquis demande à l’avocat s’il a prié Dieu de lui pardonner le tort qu’il fait à son prochain. (Sans date).

……Tous ceux qui voient ici ma situation sont révoltés de vos procédés ; il n’est personne qui n’en frémisse, et, quand je montre la correspondance de Charles, on me plaint bien d’être entre les mains d’un tel fou.

En un mot, je ne puis plus attendre. Envoyez-moi mon argent, ou il ne sera sorte de procédés dont je ne me serve pour l’arracher de vos mains aussi crochues que barbares.

6 pluviôse. Mourant de froid et de faim à l’hôpital de Versailles depuis trois mois.