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MARQUIS DE SADE.
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avec mes enfants une transaction en vertu de laquelle je donne tout pour une pension de… et, comme ils élèvent infiniment les prétentions de leur mère, j’ai le plus grand besoin de la pièce qui peut me fournir les moyens de les rabattre. Cette vente de madame Rovère va produire un très grand procès entre l’entêtée madame de Sade et cette respectable dame ; procès dans lequel on ne parle rien moins que de m’exproprier des acquisitions que j’ai faites avec l’argent Rovère[1]. Le peut-on ? Un mot sur cela, je vous prie. Daignez maintenant répondre à quelques questions, les premières m’intéressent étonnamment et les autres moins sans doute, mais cependant assez pour que je vous sache le meilleur gré de m’y répondre.

Comment se porte tout ce qui vous appartient ? Avez-vous eu des choses agréables dans votre famille, des places pour vos garçons, des mariages pour vos filles ?

Comment se porte la bonne et honnête madame Gaufridy ? Et vous, mon cher avocat, vous, le contemporain de ma vie, le compagnon de mon enfance, comment êtes-vous ?

Je l’ai dit, voilà le plus intéressant. Venons au reste.

Quelques détails sur la Coste, sur ceux que j’ai aimés, sur les Paulet, etc.

Est-il vrai que madame Rovère se réserve le château ? En quel état est-il, ce château ? Et mon pauvre parc, y reconnaît-on encore quelque chose de moi ?

Mes parents d’Apt, comment se portent-ils ?

Peut-être, à présent, voudriez-vous un mot de moi ? Eh bien ! je ne suis pas heureux, mais je me porte bien. C’est tout ce que je puis répondre à l’amitié qui, j’espère, m’interroge encore.

À vous pour la vie. Sade.

N’attribuez à aucune paresse le retard de nos réponses, ce retard ne vient que du long temps qu’a mis votre lettre à nous parvenir, vu la multitude de nos changements de domicile depuis cinq ans et notre séjour à la campagne depuis trois.

Notre adresse est : maison de M. de Coulmiers, président du canton et membre de la légion d’honneur, à Charenton-Saint-Maurice, département de la Seine[2].

  1. M. de Sade a employé les fonds provenant de la vente de la Coste en fraude des droits matrimoniaux de sa femme (nous avons eu déjà à nous demander s’il n’en avait pas acheté une maison à Quesnet) et la marquise veut rendre madame Rovère responsable du défaut de surveillance de leur emploi.
  2. C’est-à-dire à l’hospice des fous de Charenton dont M. de Coulmiers était le directeur et M. de Sade le pensionnaire ou, plus exactement, le maître des jeux et cérémonies. Quesnet avait donc ses libres entrées dans ce joyeux hospice ; peut-être même y habitait-elle avec son ami, ainsi que semble le faire entendre la lettre du Dr  Royer-Collard à Fouché, du deux août 1808 : « Enfin, le bruit général dans la maison est qu’il vit avec une femme qui passe pour sa fille. » On peut supposer que le marquis, pour lui en faire ouvrir les portes, a déclaré ou laissé entendre qu’il était le père naturel de son amie, ainsi qu’il l’avait fait une première fois dans le dessein de frauder le fisc.