Page:Sade - Aline et Valcour, ou Le roman philosophique, tome 2, 1795.djvu/69

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voilier pour garder la haute mer, nous courûmes les côtes sans nous en écarter de plus de quinze à vingt lieues, quelquefois même nous y abordions pour y faire de l’eau ou pour acheter des vivres aux Portugais de la Guinée. Tout alla le mieux du monde jusqu’au golfe, et nous avions fait près de la moitié du chemin, lorsqu’un terrible vent du Nord nous jetta tout à coup vers l’isle de Saint-Mathieu. Je n’avais encore jamais vu la mer dans un tel courroux : la brume était si épaisse, qu’il devenait impossible de nous distinguer de la proue à la poupe ; tantôt enlevé jusqu’aux nues par la fureur des vagues, tantôt précipité dans l’abîme par leur chute impétueuse, quelquefois entièrement inondés par les lames que nous embarquions malgré nous, effrayés du bouleversement intérieur et du mugissement épouvantable des eaux, du craquement des couples ; fatigués du roulis qu’occasionnait souvent la violence des rafales, et l’agitation inexprimable des flots, nous voyions la mort nous assaillir