Page:Sade - Aline et Valcour, ou Le roman philosophique, tome 3, 1795.djvu/221

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Le stoïcisme de ma compagne me ranima ; je mangeai presqu’aussi-bien qu’elle, mais je bus beaucoup moins ; décidée à noyer ses chagrins dans le jus délicat des vignes de Sétuval, elle sabla ses deux bouteilles comme j’aurais fait d’un verre de limonade, et devint dans l’état de déraison, qui s’empara d’elle peu à-près, aussi folle, aussi gaie, aussi vive que jamais une jolie femme puisse être. Ses beaux cheveux noirs flottant sur son sein d’albâtre, ses yeux superbes tour-à-tour enflammés par le dépit et par la douleur… quelquefois mouillés de larmes d’un souvenir qu’elle ne pouvait éteindre… Le désordre flottant d’une cimarre de gaze, seul habit que la chaleur nous permît de porter, cet air touchant, qu’un peu de lassitude imprimait à ses traits ; tout… tout en un mot, la rendait si voluptueuse et si belle, qu’aucun homme sur la terre n’eût pu lui résister alors, et que j’eus peut-être besoin, moi-même, de toute ma raison et de tout mon amour pour me rappeler que j’étais de son sexe.