quitté la maison de mon père ; ayant perdu ma
mère très jeune, lui seul prenait soin de mon
éducation, et je puis dire qu’il ne négligeait
rien pour me donner toutes les grâces et tous
les agréments de mon sexe. Ces attentions, ces
projets qu’annonçait mon père de me marier le
plus avantageusement qu’il serait possible, peut-être
même un peu de prédilection, tout cela,
dis-je, éveilla bientôt la jalousie de mes frères,
dont l’un, président depuis trois ans, vient
d’atteindre sa vingt-sixième année et l’autre,
conseiller plus nouvellement, en a bientôt vingt-quatre.
Je ne m’imaginais pas être aussi fortement haïe d’eux que j’ai lieu d’en être aujourd’hui convaincue ; n’ayant rien fait pour mériter ces sentiments de leur part, je vivais dans la douce illusion qu’ils me rendaient ceux que mon cœur formait innocemment pour eux. Oh juste ciel, comme je me trompais ! Excepté le moment des soins de mon éducation, je jouissais chez mon père de la plus grande liberté ; s’en rapportant de ma conduite à moi seule, il ne me contraignait sur rien, et j’avais même depuis près de dix-huit mois la permission de me promener les matins avec ma femme de chambre, ou sur la terrasse des Tuileries, ou sur le rempart