Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/106

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fantaiſie, ſi tu pouvais comprendre ce qu’on éprouve à la douce illuſion de n’être plus qu’une femme ! incroyable égarement de l’eſprit, on abhorre ce ſexe & l’on veut l’imiter. Ah ! qu’il eſt doux d’y réuſſir, Théreſe, qu’il eſt délicieux d’être la Catin de tous ceux qui veulent de vous, & portant ſur ce point, au dernier période, le délire & la proſtitution, d’être ſucceſſivement dans le même jour, la maîtreſſe d’un Crocheteur, d’un Marquis, d’un Valet, d’un Moine, d’en être tour-à-tour chéri, careſſé, jalouſé, menacé, battu, tantôt dans leurs bras victorieux, & tantôt victime à leurs pieds, les attendriſſant par des careſſes, les ranimant par des excès… Oh ! non, non, Théreſe, tu ne comprends pas ce qu’eſt ce plaiſir pour une tête organiſée comme la mienne… Mais, le moral à part, ſi tu te repréſentais quelles ſont les ſenſations phyſiques de ce divin goût, il eſt impoſſible d’y tenir, c’eſt un chatouillement ſi vif, des titillations de volupté ſi piquantes… on perd l’eſprit… on déraiſonne ; mille baiſers plus tendres les uns que les autres n’exaltent pas encore avec aſſez d’ardeur l’ivreſſe où nous plonge l’agent ; enlacés dans ſes bras, les bouches collées l’une à l’autre, nous voudrions que notre exiſtence entiere pût s’incorporer à la ſienne ; nous ne voudrions faire avec lui qu’un ſeul être ; ſi nous oſons nous plaindre, c’eſt d’être négligés ; nous voudrions que plus robuſte qu’Hercule, il nous