Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/105

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ſur ſa cruauté, ſur ſon éloignement pour les femmes, ſur la dépravation de ſes goûts, ſur les diſtances morales qui nous ſéparaient, rien au monde ne pouvait éteindre cette paſſion naiſſante, & ſi le Comte m’eût demandé ma vie, je la lui aurais ſacrifiée mille fois. Il était loin de ſoupçonner mes ſentimens… Il était loin, l’ingrat, de démêler la cauſe des pleurs que je verſais journellement ; mais il lui était impoſſible pourtant de ne pas ſe douter du déſir que j’avais de voler au devant de tout ce qui pouvait lui plaire, il ne ſe pouvait pas qu’ils n’entrevît mes prévenances ; trop aveugles ſans doute, elles allaient au point de ſervir ſes erreurs, autant que la décence pouvait me le permettre, & de les déguiſer toujours à ſa tante. Cette conduite m’avait en quelque façon gagné ſa confiance, et tout ce qui venait de lui m’était ſi précieux, je m’aveuglai tellement ſur le peu que m’offrait ſon cœur, que j’eus quelquefois la faibleſſe de croire que je ne lui étais pas indifférente. Mais combien l’excès de ſes déſordres me déſabuſait promptement : ils étaient tels que ſa ſanté même en était altérée. Je prenais quelquefois la liberté de lui peindre les inconvéniens de ſa conduite, il m’écoutait ſans répugnance, puis finiſſait par me dire qu’on ne ſe corrigeait pas de l’eſpèce de vice qu’il chériſſait.

Ah, Thérèſe s’écria-t-il un jour dans l’enthouſiaſme, ſi tu connaiſſais les charmes de cette