Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/167

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ble en l’engageant à fuir de cette maiſon perverſe. Il me ſemblait qu’il y avait un moindre mal à l’arracher du ſein de ſon inceſtueux père, que de l’y laiſſer au haſard de tous les riſques qu’elle y pouvait courir. J’avais déjà touché légèrement cette matière, & je n’étais peut être pas très-loin d’y réuſſir, quand tout-à-coup Roſalie diſparut de la maiſon, ſans qu’il me fût poſſible de ſavoir où elle était. Interrogeais-je les femmes de chez Rodin, ou Rodin lui-même, on m’aſſurait qu’elle était allé paſſer la belle ſaiſon chez une parente à dix lieues de là. M’informais-je dans le voiſinage, d’abord on s’étonnait d’une pareille queſtion faite par quelqu’un du logis, puis on me répondait comme Rodin & ſes domeſtiques : on l’avait vue, on l’avait embraſſée la veille, le jour même de ſon départ ; et je recevais les mêmes réponſes par-tout. Quand je demandais à Rodin pourquoi ce départ m’avait été caché, pourquoi je n’avais pas ſuivi ma maîtreſſe, il m’aſſurait que l’unique raiſon avait été de prévenir une ſcène douloureuſe pour l’une & pour l’autre, & qu’aſſurément je reverrais bientôt celle que j’aimais. Il fallut ſe payer de ces réponſes, mais s’en convaincre était plus difficile. Était-il préſumable que Roſalie, Roſalie qui m’aimait tant ! eût pu conſentir à me quitter ſans me dire un mot ? Et, d’après ce que je connaiſſais du caractere de Rodin, n’y avait-il pas bien à appréhender pour le ſort de cette malheureuſe ? Je

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