Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/179

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geance plus prolongée en deviendra plus délicieuſe ; il dit : Rombeau me ſaiſit, & l’abominable Rodin m’applique derrière l’épaule le fer ardent dont on marque les voleurs. Qu’elle oſe paraître à préſent, la Catin, continue ce monſtre, qu’elle l’oſe, & en montrant cette lettre ignominieuſe, je légitimerai ſuffiſamment les raiſons qui me l’ont fait renvoyer avec tant de ſecret & de promptitude.

On me panſe, on me r’habille, on me fortifie de quelques gouttes de liqueur, & profitant de l’obſcurité de la nuit, les deux amis me conduiſent au bord de la forêt, & m’y abandonnent cruellement, après m’avoir fait entrevoir encore le danger d’une récrimination, ſi j’oſe l’entreprendre dans l’état d’aviliſſement où je me trouve.

Toute autre que moi, ſe fut peu ſouciée de cette menace ; dès qu’il m’était poſſible de prouver que le traitement que je venais de ſouffrir n’était l’ouvrage d’aucuns tribunaux, qu’avais-je à craindre ?… Mais ma faibleſſe, ma timidité naturelle, l’effroi de mes malheurs de Paris, & de ceux du Château de Bressac, tout m’étourdit, tout m’effraya ; je ne penſai qu’à fuir, bien plus affectée de la douleur d’abandonner une innocente victime aux mains de ces deux ſcélérats prêts à l’immoler ſans doute, que touchée de mes propres maux. Plus irritée, plus affligée que phyſiquement maltraitée, je me mis en marche dès le même inſtant ; mais ne m’orientant point, ne demandant rien, je ne fis que tour-

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