de ce que j’avais ſauvé de chez Bressac, & de ce
que j’avais gagné chez Rodin. Dans l’excès de mon
malheur je me trouvais encore heureuſe de ce
qu’on ne m’avait point enlevé ces ſecours ; je me
flattais qu’avec la frugalité, la tempérance, l’économie
auxquelles j’étais accoutumée, cet argent
me ſuffirait au moins juſqu’à ce que je fuſſe en
ſituation de pouvoir trouver quelque place. L’exécration
qu’on venait de me faire ne paraiſſait point,
j’imaginais pouvoir la déguiſer toujours, & que
cette flétriſſure ne m’empêcherait pas de gagner ma
vie. J’avais vingt-deux ans, une bonne ſanté, une
figure, dont pour mon malheur, on ne faiſait que
trop d’éloge ; quelques vertus qui, quoiqu’elles
m’euſſent toujours nui, me conſolaient pourtant,
comme je viens de vous le dire, & me faiſaient
eſpérer qu’enfin le Ciel leur accorderait ſinon des
récompenſes, au moins quelque ceſſation aux maux
qu’elles m’avaient attirés. Pleine d’eſpoir & de
courage, je pourſuis ma route juſqu’à Sens où je
me repoſai quelques jours. Une ſemaine me remit
entièrement ; peut-être euſſé-je trouvé quelque
place dans cette ville, mais pénétrée de la néceſſité
de m’éloigner, je me remis en marche avec le
deſſein de chercher fortune en Dauphiné ; j’avais
beaucoup entendu parler de ce pays, je m’y figurais
le bonheur, nous allons voir comme j’y réuſſis.
Dans aucunes circonſtances, de ma vie, les ſentimens de Religion ne m’avaient abandonnée. Mé-