Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 216 )


que ce puiſſe être n’eſt introduit dans ce pavillon. Si nous tombons malades, le ſeul frere chirurgien nous ſoigne, & ſi nous mourons, c’eſt ſans aucun ſecours religieux ; on nous jette dans un des intervalles formé par les haies, & tout eſt dit ; mais par une inſigne cruauté, ſi la maladie devient trop grave ou qu’on en craigne la contagion, on n’attend pas que nous ſoyions mortes pour nous enterrer ; on nous enleve, & nous place où je t’ai dit encore toute vivante ; depuis dix-huit ans que je ſuis ici, j’ai vu plus de dix exemples de cette inſigne férocité ; ils diſent à cela qu’il vaut mieux en perdre une que d’en riſquer ſeize ; que c’eſt d’ailleurs une perte ſi légère qu’une fille, ſi aiſément réparée qu’on y doit avoir peu de regret. Paſſons à l’arrangement des plaiſirs des Moines & à tout ce qui tient à cette partie.

» Nous nous levons ici à neuf heures préciſes du matin, en toute ſaiſon ; nous nous couchons plus ou moins tard, en raiſon du ſouper des Moines ; auſſitôt que nous ſommes levées, le régent de jour vient faire ſa viſite, il s’aſſeoit dans un grand fauteuil, & là, chacune de nous eſt obligée d’aller ſe placer devant lui les jupes relevées du côté qu’il aime ; il touche, il baiſe, il examine, & quand toutes ont rempli ce devoir, il nomme celles qui doivent être du ſouper : il leur preſcrit l’état dans lequel il faut qu’elles ſoient, il prend les plaintes des mains de la Doyenne, & les puni-

tions