Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/254

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nous étonnons pas de la différence des goûts ; mais ſitôt qu’il s’agit de la luxure, voilà tout en rumeur, les femmes toujours ſurveillantes à leurs droits, les femmes que leur faibleſſe & leur peu de valeur engagent à ne rien perdre, frémiſſent à chaque inſtant qu’on ne leur enleve quelque choſe, & ſi malheureuſement on met en uſage dans la jouiſſance des procédés qui choquent leur culte, voilà des crimes dignes de l’échafaud. Et cependant quelle injuſtice ! Le plaiſir des ſens doit-il donc rendre un homme meilleur que les autres plaiſirs de la vie ? Le temple de la génération, en un mot, doit-il mieux fixer nos penchans, plus ſûrement éveiller nos déſirs, que la partie du corps ou la plus contraire, ou la plus éloignée de lui, que l’émanation de ce corps ou la plus fétide, & la plus dégoûtante ? Il ne doit pas, ce me ſemble, paraître plus étonnant de voir un homme porter la ſingularité dans les plaiſirs du libertinage, qu’il ne doit l’être de la lui voir employer dans les autres fonctions de la vie ! Encore une fois dans l’un & dans l’autre cas, la ſingularité eſt le réſultat de ſes organes : eſt-ce ſa faute, ſi ce qui vous affecte eſt nul pour lui, ou s’il n’eſt ému que de ce qui vous répugne ? Quel eſt l’homme qui ne réformerait pas à l’inſtant ſes goûts, ſes affections, ſes penchans ſur le plan général, & qui n’aimerait pas mieux être comme tout le monde, que de ſe ſingulariſer s’il en était