Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/290

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que ſur la crête, lorſque tout s’éboulant par mon poids, je retombai dans le foſſé ſous les débris que j’avais entraînés ; je me crus morte ; cette chute-ci, faite involontairement, avait été plus rude que l’autre ; j’étais d’ailleurs entierement couverte des matériaux qui m’avaient ſuivie ; quelques-uns m’ayant frappé la tête, je me trouvais toute fracaſſée… Ô Dieu ! me dis-je au déſeſpoir, n’allons pas plus avant ; reſtons là ; c’eſt un avertiſſement du Ciel ; il ne veut pas que je pourſuive : mes idées me trompent ſans doute ; le mal eſt peut-être utile ſur la terre, & quand la main de Dieu le déſire, peut-être eſt-ce un tort de s’y oppoſer ! Mais, bientôt révoltée d’un ſyſtême, trop malheureux fruit de la corruption qui m’avait entourée, je me débarraſſe des débris dont je ſuis couverte, & trouvant plus d’aiſance à remonter par la bréche que je viens de faire, à cauſe des nouveaux trous qui s’y ſont formés, j’eſſaie encore, je m’encourage, je me trouve en un inſtant ſur la crête. Tout cela m’avait écarté du ſentier que j’avais aperçu ; mais l’ayant bien remarqué, je le regagne, & me mets à fuir à grands pas. Avant la fin du jour, je me trouvai hors de la forêt, & bientôt ſur cette monticule de laquelle, il y avait ſix mois, j’avais, pour mon malheur, aperçu cet affreux Couvent ; je m’y repoſe quelques minutes, j’étais en nage ; mon premier ſoin eſt de me précipiter à genoux & de demander à Dieu de