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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/302

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mérite un inſtant vos regards. Monſieur de Gernande était alors un homme de cinquante ans, ayant près de ſix pieds de haut, & d’une monſtrueuse groſſeur. Rien n’eſt effrayant comme ſa figure, la longueur de ſon nez, l’épaiſſe obſcurité de ſes ſourcils, ſes yeux noirs & méchans, ſa grande bouche mal meublée, ſon front ténébreux & chauve, le ſon de ſa voix effrayant & rauque, ſes bras & ſes mains énormes ; tout contribue à en faire un individu giganteſque, dont l’abord inſpire beaucoup plus de peur que d’aſſurance. Nous verrons bientôt ſi le moral & les actions de cette eſpece de Centaure répondaient à ſon effrayante caricature. Après un examen des plus bruſques & des plus cavaliers, le Comte me demanda mon age. — Vingt-trois ans, Monſieur, répondis-je, & il joignit à cette première demande quelques queſtions ſur mon perſonnel. Je le mis au fait de tout ce qui me concernait. Je n’oubliai même pas la flétriſſure que j’avais reçue de Rodin ; & quand je lui eus peint ma misere, quand je lui eus prouvé que le malheur m’avait conſtamment pourſuivie : — tant mieux, me dit durement le vilain homme, tant mieux, vous en ſerez plus ſouple chez moi ; c’eſt un très-petit inconvénient que le malheur pourſuive cette race abjecte du peuple que la Nature condamne à ramper près de nous ſur le même fol : elle en eſt plus active & moins inſolente, elle en rem-