Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 17 )


fortune eſt faite, ſi tu te conduis comme tu le dis. Enſuite le Comte me montra ma chambre attenant à celle de la Comteſſe, & il me fit obſerver que l’enſemble de cet appartement fermé par d’excellentes portes, & entouré de doubles grilles à toutes ſes ouvertures, ne laiſſait aucun eſpoir d’évaſion : voilà bien une terraſſe, pourſuivit M. de Gernande, en me menant dans un petit jardin qui ſe trouvait de plein-pied à cet appartement, mais ſa hauteur ne vous donne pas, je penſe, envie d’en meſurer les murs : la Comteſſe peut y venir reſpirer le frais tant qu’elle veut, vous lui tiendrez compagnie… adieu.

Je revins auprès de ma maîtreſſe, & comme nous nous examinames d’abord toutes les deux ſans parler, je la ſaiſis aſſez bien dans ce premier inſtant pour pouvoir vous la peindre.

Madame de Gernande, âgée de dix-neuf ans & demi, avait la plus belle taille, la plus noble, la plus majeſtueuſe qu’il fût poſſible de voir, pas un de ſes geſtes, pas un de ſes mouvemens qui ne fût une grace, pas un de ſes regards qui ne fût un ſentiment : ſes yeux étaient du plus beau noir, quoiqu’elle fût blonde, rien n’égalait leur expreſſion ; mais une ſorte de langueur, ſuite de ſes infortunes, en en adouciſſant l’éclat, les rendait mille fois plus intéreſſans ; elle avait la peau très-blanche, & les plus beaux cheveux, la bouche très-petite, trop

B