Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/32

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de cette maiſon, donnant ſur la cour, lorſque le coche dont nous venons de parler, entra dans cette hôtellerie.

C’eſt un amuſement aſſez naturel que de regarder vue deſcente de coche : on peut parier pour le genre des perſonnages qui s’y trouvent, & ſi l’on a nommé une Catin, un Officier, quelques Abbés & un Moine, on eſt preſque toujours sûr de gagner. Madame de Lorſange, ſe lève, M. de Corville la ſuit, & tous deux s’amuſent à voir entrer dans l’auberge la ſociété cahotante. Il paraissait qu’il n’y avait plus perſonne dans la voiture l’orſqu’un Cavalier de maréchauſſée, deſcendant du panier, reçut dans ſes bras d’un de ſes camarades également placé dans le même lieu, une fille de vingt-ſix à vingt-ſept ans, vêtue d’un mauvais petit caracot d’indienne, & enveloppée juſqu’aux ſourcils, d’un grand mantelet de taffetas noir. Elle était liée comme une criminelle & d’une telle faibleſſe, qu’elle ſerait aſſurément tombée ſi ſes gardes ne l’euſſent ſoutenue. À un cri de ſurpriſe & d’horreur qui échappe à Madame de Lorſange, la jeune fille ſe retourne, & laiſſe voir avec la plus belle taille du monde, la figure la plus noble, la plus agréable, la plus intéreſſante, tous les appas enfin les plus en droit de plaire, rendus mille fois plus piquans encore par cette tendre & touchante affliction que l’innocence ajoute aux traits de la beauté.

M.