Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/337

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ma conduite puiſqu’il le faut, mais je me dédommagerai en ſilence dans la retraite où je m’exile, des chaînes abſurdes où la législation me condamne, & là, je traiterai ma femme comme il me conviendra, comme j’en trouve le droit dans tous les codes de l’Univers, dans mon cœur & dans la Nature.

— Oh ! Monſieur, lui dis-je, votre converſion eſt impoſſible. — Auſſi ne te conſeillé-je pas de l’entreprendre, Théreſe, me répondit Gernande : l’arbre eſt trop vieux pour être plié ; on peut faire à mon âge quelques pas de plus dans la carriere du mal, mais pas un ſeul dans celle du bien. Mes principes & mes goûts firent mon bonheur depuis mon enfance, ils furent toujours l’unique baſe de ma conduite & de mes actions : peut-être irai-je plus loin, je ſens que c’eſt poſſible, mais pour revenir, non ; j’ai trop d’horreur pour les préjugés des hommes, je hais trop ſincérement leur civiliſation, leurs vertus & leurs Dieux, pour y jamais ſacrifier mes penchans.

De ce moment je vis bien que je n’avais plus d’autre parti à prendre, ſoit pour me tirer de cette maiſon, ſoit pour délivrer la Comteſſe, que d’uſer de ruſe, & de me concerter avec elle.

Depuis un an que j’étais dans ſa maiſon je lui avais trop laiſſé lire dans mon cœur pour qu’elle ne ſe convainquit pas du déſir que j’avais de la ſervir, & pour qu’elle ne devinât pas ce qui