Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/338

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m’avait fait d’abord agir différemment. Je m’ouvris davantage, elle ſe livra : nous convinmes de nos plans ; il s’agiſſait d’inſtruire ſa mere, de lui deſſiller les yeux ſur les infamies du Comte. Madame de Gernande ne doutait pas que cette Dame infortunée n’accourût auſſitôt briſer les chaînes de ſa fille ; mais comment réuſſir, nous étions ſi bien renfermées, tellement gardées à vue ! Accoutumée à franchir des remparts, je meſurai des yeux ceux de la terraſſe : à peine avaient-ils trente pieds ; aucune clôture ne parut à mes yeux, je crus qu’une fois au bas de ces murailles, on ſe trouvait dans les routes du bois ; mais la Comteſſe arrivée de nuit dans cet appartement, & n’en étant jamais ſortie, ne put rectifier mes idées. Je conſentis à eſſayer l’eſcalade : Madame de Gernande écrivit à ſa mere la lettre du monde la plus faite pour l’attendrir & la déterminer à venir au ſecours d’une fille auſſi malheureuſe ; je mis la lettre dans mon ſein, j’embraſſai cette chere & intéreſſante femme, puis aidée de nos draps, dès qu’il fut nuit, je me laiſſai gliſſer au bas de cette fortereſſe. Que devins-je, ô ciel ! quand je reconnus qu’il s’en fallait bien que je fuſſe dehors de l’enceinte, je n’étais que dans le parc, & dans un parc environné de murs dont la vue m’avait été dérobée par l’épaiſſeur des arbres & par leur quantité : ces murs avaient plus de quarante pieds de haut, tout garnis de verre ſur