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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/341

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Il eſt dehors, & moi dans la plus violente agitation : je ne vous peins point la nuit que je paſſai, les tourmens de l’imagination joints aux maux phyſiques que les premieres cruautés de ce monſtre venaient, de me faire éprouver, la rendirent une des plus affreuſes de ma vie. On ne ſe figure point les angoiſſes d’un malheureux qui attend ſon ſupplice à toute heure, à qui l’eſpoir eſt enlevé, & qui ne ſait pas ſi la minute où il reſpire, ne ſera pas la derniere de ſes jours. Incertain de ſon ſupplice, il ſe le repréſente ſous mille formes plus horribles les unes que les autres, le moindre bruit qu’il entend lui paraît être celui de ſes bourreaux ; ſon ſang s’arrête, ſon cœur s’éteint, & le glaive qui va terminer ſes jours, eſt moins cruel, que ces funeſtes inſtans où la mort le menace.

Il eſt vraiſemblable que le Comte commença par ſe venger ſur ſa femme ; l’événement qui me ſauva va vous en convaincre comme moi : il y avoit trente ſix heures que j’étais dans la criſe que je viens de vous peindre, ſans qu’on m’eût apporté aucun ſecours, lorſque ma porte s’ouvrit & que le Comte parut ; il était ſeul, la fureur étincelait dans ſes yeux. — Vous devez bien vous douter, me dit-il, du genre de mort que vous allez ſubir : il faut que ce ſang pervers s’écoule en détail ; vous ſerez ſaignée trois fois par jour, je veux voir combien de temps vous pourrez