Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/342

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vivre de cette façon. C’eſt une expérience que je brûlais de faire, vous le ſavez, je vous remercie de m’en fournir les moyens ; & le monſtre ſans s’occuper pour lors, d’autres paſſions que de ſa vengeance, me fait tendre un bras, me pique, & bande la plaie après deux palettes de ſang. Il avait à peine fini, que des cris ſe font entendre. — Monſieur… Monſieur, lui dit en accourant une des vieilles qui nous ſervaient… venez au plus vîte, Madame ſe meurt, elle veut vous parler avant de rendre l’ame, & la vieille revole auprès de ſa maîtreſſe.

Quelqu’accoutumé que l’on ſoit au crime, il eſt rare que la nouvelle de ſon accompliſſement n’effraye celui qui vient de le commettre. Cette terreur venge la Vertu : tel eſt l’inſtant où ſes droits ſe reprennent : Gernande fort égaré, il oublie de fermer les portes, je profite de la circonſtance, quelqu’affaiblie que je ſois par une diete de plus de quarante heures, & par une ſaignée ; je m’élance hors de mon cachot, tout eſt ouvert, je traverſe les cours, & me voilà dans la forêt ſans qu’on m’ait apperçue. Marchons, me dis-je, marchons avec courage ; ſi le fort mépriſe le faible, il eſt un Dieu puiſſant qui protege celui-ci, & qui ne l’abandonne jamais. Pleine de ces idées, j’avance avec ardeur, & avant que la nuit ne ſoit cloſe, je me trouve dans une chaumiere à quatre lieues du château. Il m’était reſté