Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/395

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derent le lendemain ce qu’était devenue Suzanne, je le leur appris ; elles ne s’en étonnerent point ; toutes s’attendaient au même ſort, & toutes, à mon exemple, y voyant le terme de leurs maux, le déſiraient avec empreſſement.

Deux ans ſe paſſerent ainſi, Roland dans ſes débauches ordinaires, moi dans l’horrible perſpective d’une mort cruelle, lorſque la nouvelle ſe répandit enfin dans le château, que non-ſeulement les déſirs de notre maître étaient ſatisfaits, que non-ſeulement il recevait pour Veniſe la quantité immenſe de papier qu’il en avait déſiré, mais qu’on lui redemandait même encore six millions de fauſſes eſpeces dont on lui ferait paſſer les fonds à ſa volonté pour l’Italie ; il était impoſſible que ce ſcélérat fit une plus belle fortune, il partait avec plus de deux millions de rentes, ſans les eſpérances qu’il pouvait concevoir : tel étoit le nouvel exemple que la Providence me préparait. Telle était la nouvelle maniere dont elle voulait encore me convaincre que la proſpérité n’était que pour le Crime, & l’infortune pour la Vertu.

Les choſes étaient dans cet état lorſque Roland vint me chercher pour deſcendre une troiſieme fois dans le caveau. Je frémis en me rappellant les menaces qu’il m’avait faites la derniere fois que nous y étions allés. — Raſſure-toi, me dit-il, tu n’as rien à craindre, il s’agit de quelque choſe qui ne

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