Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/399

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te plonger vive dans le caveau où elle expira. Je ne vous peindrai point mon état, Madame, vous le concevez ; j’ai beau pleurer, beau gémir, on ne m’écoute plus. Roland ouvre le caveau fatal, il y deſcend une lampe afin que j’en puiſſe encore mieux diſcerner la multitude de cadavres dont il eſt rempli, il paſſe enſuite une corde ſous mes bras, liés, comme je vous l’ai dit, derriere mon dos, & par le moyen de cette corde, il me deſcend à vingt pieds du fond de ce caveau & à environ trente de celui où il était : je ſouffrois horriblement dans cette poſition, il ſemblait que l’on m’arrachât les bras. De quelle frayeur ne devais-je pas être ſaiſie, & quelle perſpective s’offrait à moi ! Des monceaux de corps morts au milieu deſquels j’allais finir mes jours & dont l’odeur m’infectait déjà. Roland arrête la corde à un bâton fixé en travers du trou, puis armé d’un couteau, je l’entends qui s’excite. — Allons, Théreſe, me dit-il, recommande ton ame à Dieu, l’inſtant de mon délire ſera celui où je te jetterai dans ce ſépulchre, où je te plongerai dans l’éternel abîme qui t’attend ; ah… ah… Théreſe, ah… & je ſentis ma tête couverte des preuves de ſon extaze ſans qu’il eût heureuſement coupé la corde : il me retire. — Eh bien ! me dit-il, as-tu eu peur ? — Ah, Monſieur ! — C’eſt ainſi que tu mourras, Théreſe, ſois-en ſûre, & j’étais bien aiſe de t’y accoutumer. Nous remontâmes… Devais-je me

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