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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/400

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plaindre, devais-je me louer ? Quelle récompenſe de ce que je venais encore de faire pour lui ! Mais le monſtre n’en pouvait-il pas faire davantage ? Ne pouvait-il pas me faire perdre la vie ? Oh quel homme !

Roland enfin prépara ſon départ, il vint me voir la veille à minuit ; je me jette à ſes pieds, je le conjure avec les plus vives inſtances de me rendre la liberté, & d’y joindre le peu qu’il voudrait d’argent pour me conduire juſqu’à Grenoble. — À Grenoble ! Aſſurément non, Théreſe, tu nous y dénoncerais. — Eh bien, Monſieur, lui dis-je en arroſant ſes genoux de mes larmes, je vous fais ſerment de n’y jamais aller, & pour vous en convaincre, daignez me conduire avec vous juſqu’à Veniſe ; peut-être n’y trouverai-je pas des cœurs auſſi durs que dans ma patrie, & une fois que vous aurez bien voulu m’y rendre, je vous jure ſur tout ce qu’il y a de plus ſaint, de ne vous y jamais importuner.

Je ne te donnerai pas un ſecours, pas un ſou, me répondit durement cet inſigne Coquin ; tout ce qui tient à la pitié, à la commiſération, à la reconnaiſſance, eſt ſi loin de mon cœur, que fuſſé-je trois fois plus riche que je ne le ſuis, on ne me verrait pas donner un écu à un pauvre ; le ſpectacle de l’infortune m’irrite, il m’amuſe, & quand je ne peux pas faire de mal moi-même, je jouis avec délices de celui que fait la main du