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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/405

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ment. On nous enchaîne comme des bêtes ; on nous attache ſur des chevaux & l’on nous conduit à Grenoble. Oh Ciel ! me dis-je en y entrant, c’eſt donc l’échafaud qui va faire mon ſort dans cette ville où j’avais la folie de croire que le bonheur devait naître pour moi… Ô preſſentimens de l’homme, comme vous êtes trompeurs !

Le procès des faux-monnoyeurs fut bientôt jugé ; tous furent condamnés à être pendus ; lorſqu’on vit la marque que je portais, on s’évita preſque la peine de m’interroger, & j’allais être traitée comme les autres, quand j’eſſayai d’obtenir enfin quelque pitié du Magiſtrat fameux, honneur de ce tribunal, juge intégre, citoyen chéri, philoſophe éclairé, dont la ſageſſe & la bienfaiſance graveront à jamais au temple de Thémis le nom célebre en lettres d’or. Il m’écouta ; convaincu de ma bonne-foi & de la vérité de mes malheurs, il daigna mettre à mon procès un peu plus d’attention que ſes confrères… Ô grand homme, je te dois mon hommage, la reconnaiſſance d’une infortunée ne ſera point onéreuſe pour toi, & le tribut qu’elle t’offre, en faiſant connaître ton cœur, ſera toujours la plus douce jouiſſance du ſien.

Monſieur S*** devint mon Avocat lui-même ; mes plaintes furent entendues, & ſa mâle éloquence éclaira les eſprits. Les dépoſitions générales des faux-monnoyeurs qu’on allait exécuter, vinrent