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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/406

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appuyer le zèle de celui qui voulait bien s’intéreſſer à moi : je fus déclarée ſéduite, innocente, pleinement déchargée d’accuſation, avec une entière liberté de devenir ce que je voudrais ; mon protecteur joignit à ces ſervices, celui de me faire obtenir une quête qui me valut plus de cinquante louis ; enfin je voyais luire à mes yeux l’aurore du bonheur ; enfin mes preſſentimens ſemblaient ſe réaliſer, & je me croyais au terme de mes maux, quand il plut à la Providence de me convaincre que j’en étais encore bien loin.

Au ſortir de priſon je m’étais logée dans une auberge en face du pont de l’Iſere, du côté des Faubourgs, où l’on m’avait aſſurée que je ſerais honnêtement. Mon intention d’après le conſeil de Monſieur S*** était d’y reſter quelque tems pour eſſayer de me placer dans la ville, ou m’en retourner à Lyon, ſi je ne réuſſiſſais pas avec des lettres de recommandation que Monſieur S*** avait la bonté de m’offrir. Je mangeais dans cette auberge à ce qu’on appelle la table d’hôte, lorſque je m’aperçus le ſecond jour que j’étais extrêmement obſervée par une groſſe Dame fort-bien miſe, qui ſe faiſait donner le titre de Baronne : à force de l’examiner à mon tour, je crus la reconnaître, nous nous avançâmes mutuellement l’une vers l’autre ; nous nous embraſſames comme deux perſonnes qui ſe ſont connues, mais qui ne peuvent ſe rappeller où.