Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/411

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trait bientôt tout dans l’ordre, & ferait voir aux Magiſtrats, aux Légiſlateurs, que les crimes qu’ils blâment & puniſſent avec tant de rigueur, ont quelquefois un degré d’utilité bien plus grand que ces vertus qu’ils prêchent, ſans les pratiquer eux-mêmes & ſans jamais les récompenſer.

— Mais quand je ſerais aſſez faible, Madame, répondis-je, pour embraſſer vos affreux ſyſtêmes, comment parviendriez-vous à étouffer le remords qu’ils feraient à tout inſtant naître dans mon cœur ? — Le remords eſt une chimere, me dit la Dubois ; il n’eſt, ma chere Théreſe, que le murmure imbécille de l’ame aſſez timide pour n’oſer pas l’anéantir. — L’anéantir ! le peut-on ? — Rien de plus aiſé ; on ne ſe repent que de ce qu’on n’eſt pas dans l’uſage de faire ; renouvelez ſouvent ce qui vous donne des remords, & vous les éteindrez bientôt ; oppoſez-leur le flambeau des paſſions, les loix puiſſantes de l’intérêt, vous les aurez bientôt diſſipés. Le remords ne prouve pas le crime, il dénote ſeulement une ame facile à ſubjuguer ; qu’il vienne un ordre abſurde de t’empêcher de ſortir à l’inſtant de cette chambre, tu n’en ſortiras pas ſans remords, quelque certain qu’il ſoit que tu ne feras pourtant aucun mal à en ſortir. Il n’eſt donc pas vrai qu’il n’y ait que le crime qui donne des remords. En ſe convainquant du néant des crimes, de la néceſſité dont ils ſont, eu égard au plan général de la Nature,

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