il ſerait donc poſſible de vaincre auſſi facilement
le remords qu’on ſentirait après les avoir commis,
comme il te le deviendrait d’étouffer celui
qui naîtrait de ta ſortie de cette chambre après
l’ordre illégal que tu aurais reçu d’y reſter. Il
faut commencer par une analyſe exacte de tout
ce que les hommes appellent crime ; par ſe convaincre
que ce n’eſt que l’infraction à leurs loix &
à leurs mœurs nationales, qu’ils caractériſent
ainſi ; que ce qu’on appelle crime en France,
ceſſe de l’être à deux cents lieues de-là ; qu’il n’eſt
aucune action qui ſoit réellement conſidérée comme
crime univerſellement ſur la terre ; aucune qui,
vicieuſe ou criminelle ici, ne ſoit louable & vertueuſe
à quelques milles de-là ; que tout eſt affaire
d’opinion, de géographie, & qu’il eſt donc abſurde
de vouloir s’aſtreindre à pratiquer des vertus qui
ne ſont que des vices ailleurs, & à fuir des crimes
qui ſont d’excellentes actions dans un autre
climat. Je te demande maintenant ſi je peux d’après
ces réflexions, conſerver encore des remords,
pour avoir par plaiſir, ou par intérêt, commis en
France un crime qui n’eſt qu’une vertu à la Chine ;
ſi je dois me rendre très-malheureuſe, me gêner
prodigieuſement afin de pratiquer en France des
actions qui me feraient brûler à Siam ? Or, ſi
le remords n’eſt qu’en raiſon de la défenſe, s’il
ne naît que des débris du frein & nullement de
l’action commiſe, eſt-ce un mouvement bien ſage
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