Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
( 119 )


— Et voilà donc ce que tu appelles un malheur, reprit la Dubois ? Mais que fait cette ignominie à celui qui n’a plus de principes ? Quand on a tout franchi, quand l’honneur à nos yeux n’eſt plus qu’un préjugé, la réputation une choſe indifférente, la religion une chimere, la mort un anéantiſſement total ; n’eſt-ce donc pas la même choſe alors de périr ſur un échafaud ou dans ſon lit ? Il y a deux eſpeces de ſcélérats dans le monde, Théreſe, celui qu’une fortune puiſſante, un crédit prodigieux met à l’abri de cette fin tragique, & celui qui ne l’évitera pas s’il eſt pris. Ce dernier, né ſans bien, ne doit avoir qu’un ſeul déſir s’il a de l’eſprit, devenir riche à quelque prix que ce puiſſe être ; s’il réuſſit, il a ce qu’il a voulu, il doit être content ; s’il eſt roué, que regrettera-t-il puiſqu’il n’a rien à perdre ? Les loix ſont donc nulles vis-à-vis de tous les ſcélérats, dès qu’elles n’atteignent pas celui qui eſt puiſſant, & qu’il eſt impoſſible au malheureux de les craindre, puiſque leur glaive eſt ſa ſeule reſſource. — Eh croyez-vous, repris-je, que la Juſtice céleſte n’attende pas dans un autre monde celui que le crime n’a pas effrayé dans celui-ci ? — Je crois, reprit cette femme dangereuſe, que s’il y avait un Dieu, il y aurait moins de mal ſur la terre ; je crois que ſi ce mal y exiſte, ou ces déſordres ſont ordonnés par ce Dieu, & alors voilà un être barbare ; ou il eſt hors d’état de

H 4