Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/414

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ma chere, jamais dans cette route heureuſement parcourue, le remords ne m’a fait ſentir ſes épines, un revers affreux me plongerait à l’inſtant du pinacle dans l’abyme, je ne l’éprouverais pas davantage, je me plaindrais des hommes ou de ma mal-adreſſe, mais je ſerais toujours en paix avec ma conſcience. — Soit, répondis-je, Madame, mais raiſonnons un inſtant d’après vos principes même ; de quel droit prétendez-vous exiger que ma conſcience ſoit auſſi ferme que la vôtre, dès qu’elle n’a pas été accoutumée dès l’enfance à vaincre les mêmes préjugés ? À quel titre exigez-vous que mon eſprit, qui n’eſt pas organiſé comme le vôtre, puiſſe adopter les mêmes ſyſtêmes ? Vous admettez qu’il y a une ſomme de bien & de mal dans la Nature, & qu’il faut en conſéquence une certaine quantité d’êtres qui pratiquent le bien, & une autre qui ſe livre au mal ; le parti que je prends eſt donc dans la Nature, & d’où vient exigeriez-vous d’après cela que je m’écartaſſe des régles qu’elles me preſcrit ? Vous trouvez, dites-vous, le bonheur dans la carriere que vous parcourez : eh bien, Madame, d’où vient que je ne le trouverais pas également dans celle que je ſuis. N’imaginez pas d’ailleurs que la vigilance des loix laiſſe en repos longtemps celui qui les enfreint, vous venez d’en voir un exemple frappant ; de quinze fripons parmi leſquels j’habitais, un ſe ſauve, quatorze périſſent ignominieuſement…