Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/418

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voulais en faire un mérite à ton eſprit, me dit la Dubois, tu aimes mieux que j’en accuſe ton malheur, ce ſera comme tu le voudras, ſers-moi toujours, & tu ſeras contente. Tout s’arrangea ; dès le même ſoir je commençai à faire un peu plus beau jeu à Dubreuil, & je reconnus effectivement qu’il avait quelque goût pour moi.

Rien de plus embarraſſant que ma ſituation : j’étais bien éloignée ſans doute de me prêter au crime propoſé, eût-il dû s’agir de dix mille fois plus d’or ; mais dénoncer cette femme était un autre chagrin pour moi, il me répugnait extrêmement d’expoſer à périr une créature à qui j’avais dû ma liberté dix ans auparavant. J’aurais voulu trouver le moyen d’empêcher le crime ſans le faire punir, & avec tout autre qu’une ſcélérate conſommée comme la Dubois, j’y ſerais parvenue : voici donc à quoi je me déterminai, ignorant que les manœuvres ſourdes de cette femme horrible non-ſeulement dérangeraient tout l’édifice de mes projets honnêtes, mais me puniraient même de les avoir conçus.

Au jour preſcrit pour la promenade projetée, la Dubois nous invite l’un & l’autre à dîner dans ſa chambre, nous acceptons, & le repas fait, Dubreuil & moi deſcendons pour preſſer la voiture qu’on nous préparait ; la Dubois ne nous accompagnant point, je me trouvai ſeule un inſtant avec Dubreuil avant que de partir. — Monſieur,