Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/42

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vie que de m’y ſoumettre… Oui, j’aime mieux mourir mille fois que d’enfreindre les principes que j’ai reçus dans mon enfance… Monſieur, Monſieur, ne me contraignez pas, je vous ſupplie ; pouvez-vous concevoir le bonheur au ſein des dégoûts & des larmes ! Oſez-vous ſoupçonner le plaiſir où vous ne verrez que des répugnances ? Vous n’aurez pas plutôt conſommé votre crime, que le ſpectacle de mon déſeſpoir vous accablera de remords… Mais les infamies où ſe livrait Dubourg m’empêcherent de pourſuivre ; aurais-je pu me croire capable d’attendrir un homme, qui trouvait déjà dans ma propre douleur un véhicule de plus à ſes horribles paſſions ! Le croirez-vous, Madame, s’enflammant aux accens aigus de mes plaintes, les ſavourant avec inhumanité, l’indigne ſe diſpoſait lui-même à ſes criminelles tentatives ! Il ſe leve, & ſe montrant à la fin à moi dans un état où la raiſon triomphe rarement, & où la réſiſtance de l’objet qui la fait perdre n’eſt qu’un aliment de plus au délire, il me ſaiſit avec brutalité, enlève impétueuſement les voiles qui dérobent encore ce dont il brûle de jouir ; tour-à-tour il m’injurie… me flatte… Il me maltraite & me careſſe… Oh ! quel tableau, Grand Dieu ! Quel mêlange inoui de dureté… de luxure ! Il ſemblait que l’Être ſuprême voulût, dans cette premiere circonſtance de ma vie, imprimer à jamais en moi toute l’horreur