Voilà comme je quittai Grenoble, Madame, & ſi je ne trouvai pas dans cette ville toute la félicité que j’y avais ſuppoſée, au moins ne rencontrai-je dans aucune, comme dans celle-là, tant d’honnêtes-gens réunis pour plaindre ou calmer mes maux.
Nous étions ma conductrice & moi, dans un petit chariot couvert attelé d’un cheval que nous conduiſions du fond de cette voiture ; là étaient les marchandiſes de Madame Bertrand, & une petite fille de quinze mois qu’elle nourriſſait encore, & que je ne tardai pas pour mon malheur de prendre bientôt dans une auſſi grande amitié que pouvait le faire celle qui lui avait donné le jour.
C’était d’ailleurs une aſſez vilaine femme que cette Bertrand, ſoupçonneuſe, bavarde, commere, ennuyeuſe & bornée. Nous deſcendions régulierement chaque ſoir tous ſes effets dans l’auberge, & nous couchions dans la même chambre. Juſqu’à Lyon, tout ſe paſſa fort bien, mais pendant les trois jours dont cette femme avait beſoin pour ſes affaires, je fis dans cette ville une rencontre à laquelle j’étais loin de m’attendre.
Je me promenais l’après-midi ſur le Quai du Rhône avec une des filles de l’auberge que j’avais priée de m’accompagner, lorſque j’aperçus tout-à-coup le Révérend pere Antonin de Sainte-Marie-des-Bois, maintenant Supérieur de la maiſon de