Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/44

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ment, il ne voulut abſolument me donner que la ſomme que je devais à la Des-roches. Je revins donc chez cette femme, bien humiliée d’une pareille avanture & bien réſolue, quelque choſe qui pût m’arriver, de ne pas m’y expoſer une troiſieme fois. Je l’en prévins en la payant, & en accablant de malédictions le ſcélérat capable d’abuſer auſſi cruellement de ma miſere. Mais mes imprécations loin d’attirer ſur lui la colère de Dieu, ne firent que lui porter bonheur ; huit jours après j’appris que cet inſigne libertin venait d’obtenir du Gouvernement une régie générale qui augmentait ſes revenus de plus de quatre cens mille livres de rentes ; j’étais abſorbée dans les réflexions que font naître inévitablement de ſemblables inconſéquences du ſort, quand un rayon d’eſpoir ſembla luire un inſtant à mes yeux.

La Des-roches vint me dire un jour qu’elle avait enfin trouvé une maiſon où l’on me recevrait avec plaiſir, pourvu que je m’y comportaſſe bien. Oh ! Ciel, Madame, lui dis-je en me jettant avec tranſport dans ſes bras, cette condition eſt celle que j’y mettrais moi-même, jugez ſi je l’accepte avec plaiſir. L’homme que je devais ſervir était un fameux uſurier de Paris, qui s’était enrichi, non-ſeulement en prêtant ſur gages, mais même en volant impunément le public chaque fois qu’il avait cru le pouvoir faire en ſureté. Il demeurait