Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/45

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rue Quincampoix, à un ſecond étage, avec une créature de cinquante ans, qu’il appelait ſa femme, & pour le moins auſſi méchante que lui. Théreſe, me dit cet avare, (tel était le nom que j’avais pris pour cacher le mien…) Théreſe, la première vertu de ma maiſon c’eſt la probité ; ſi jamais vous détourniez d’ici la dixième partie d’un denier, je vous ferais pendre, voyez-vous, mon enfant. Le peu de douceur dont nous jouiſſons ma femme & moi, eſt le fruit de nos travaux immenſes, & de notre parfaite ſobriété… — Mangez-vous beaucoup, ma petite ? — Quelques-onces de pain par jour, Monſieur, lui répondis-je, de l’eau & un peu de ſoupe quand je ſuis aſſez heureuſe pour en avoir. — De la ſoupe ! morbleu, de la ſoupe ! Regardez, ma mie, dit l’uſurier à ſa femme, gémiſſez des progrès du luxe, ça cherche condition, ça meurt de faim depuis un an, & ça veut manger de la ſoupe ; à peine en faiſons-nous une fois tous les Dimanches, nous qui travaillons comme des forçats ; vous aurez trois onces de pain par jour, ma fille, une demi-bouteille d’eau de riviere, une vieille robe de ma femme, tous les dix-huit mois, & trois écus de gages au bout de l’année, ſi nous ſommes contens de vos ſervices, ſi votre économie répond à la nôtre, & ſi vous faites enfin proſpérer la maiſon par de l’ordre & de l’arrangement. Votre ſervice eſt médiocre, c’eſt l’affaire d’un clin d’œil ; il s’agit de frotter &