Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/458

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Parée du mieux qu’il m’eſt poſſible, je ſuis le concierge qui me remet entre les mains de deux grands drôles dont le farouche aſpect redouble ma frayeur ; ils ne me diſent mot : le fiacre avance, & nous deſcendons dans un vaſte hôtel que je reconnais bientôt pour être celui de Saint-Florent. La ſolitude dans laquelle tout m’y paraît ne ſert qu’à redoubler ma crainte : cependant mes conducteurs me prennent par le bras, & nous montons au quatrième dans de petits appartemens qui me ſemblerent auſſi décorés que myſtérieux. À meſure que nous avancions, toutes les portes ſe fermaient ſur nous, & nous parvinmes ainſi dans un ſalon reculé où je n’aperçus aucunes fenêtres : là ſe trouvaient Saint-Florent & l’homme qu’on me dit être Monſieur de Cardoville, de qui dépendait mon affaire ; ce personnage gros & replet, d’une figure ſombre & farouche, pouvait avoir environ cinquante ans ; quoiqu’il fût en déshabillé, il était facile de voir que c’était un robin. Un grand air de ſévérité paraiſſait répandu ſur tout ſon enſemble ; il m’en impoſa. Cruelle injuſtice de la Providence, il eſt donc poſſible que le Crime effraie la Vertu. Les deux hommes qui m’avaient amenée, & que je diſtinguai mieux à la lueur des vingt bougies dont cette piece était éclairée, n’avaient pas plus de vingt-cinq à trente ans. Le premier, qu’on appelait la Roſe, était un beau