Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/478

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plus mortelle ennemie qui veut me ramener de force chez un homme dont la paſſion eſt de couper des têtes : ſi j’évite le glaive de ce ſcélérat, c’eſt pour retomber ſous celui de Thémis. J’implore la protection d’un homme à qui j’ai ſauvé la fortune & la vie ; j’oſe attendre de lui de la reconnaiſſance, il m’attire dans ſa maiſon, il me ſoumet à des horreurs, il y fait trouver le juge inique de qui mon affaire dépend, tous deux abuſent de moi, tous deux m’outragent, tous deux hâtent ma perte ; la fortune les comble de faveurs, & je cours à la mort.

Voilà ce que les hommes m’ont fait éprouver, voilà ce que m’a appris leur dangereux commerce ; eſt-il étonnant que mon ame aigrie par le malheur, révoltée d’outrages & d’injuſtices, n’aſpire plus qu’à briſer ſes liens ?

Mille excuſes, Madame, dit cette fille infortunée en terminant ici ſes aventures ; mille pardons d’avoir ſouillé votre eſprit de tant d’obſcénités, d’avoir ſi long-temps, en un mot, abuſé de votre patience. J’ai peut-être offenſé le Ciel par des récits impurs, j’ai renouvelé mes plaies, j’ai troublé votre repos ; adieu, Madame, adieu ; l’aſtre ſe leve, mes gardes m’appellent, laiſſez-moi courir à mon ſort, je ne le redoute plus, il abrégera mes tourmens : ce dernier inſtant de l’homme n’eſt terrible que pour l’être fortuné dont les jours ſe ſont écoulés ſans nuages ; mais la malheureuſe