l’aiſance. Ils la nouriſſaient avec délices des mets
les plus ſucculens ; ils la couchaient dans les meilleurs
lits, ils voulaient qu’elle ordonnât chez
eux ; ils y mettaient enfin toute la délicateſſe qu’il
était poſſible d’attendre de deux ames ſenſibles.
On lui fit faire des remedes pendant quelques
jours, on la baigna, on la para, on l’embellit,
elle était l’idole des deux amans, c’était à qui des
deux lui ferait le plutôt oublier ſes malheurs. Avec
quelques ſoins un excellent chirurgien ſe chargea
de faire diſparaître cette marque ignominieuſe,
fruit cruel de la ſcélérateſſe de Rodin ; tout répondait
aux ſoins des bienfaiteurs de Théreſe :
déjà les traces de l’infortune s’effaçaient du front
de cette aimable fille ; déjà les Grâces y rétabliſſaient
leur empire. Aux teintes livides de ſes
joues d’albâtre ſuccédaient les roſes de ſon âge,
flétries par autant de chagrins. Le rire effacé de
ſes levres depuis tant d’années y reparut enfin ſous
l’aile des Plaiſirs. Les meilleures nouvelles venaient
d’arriver de la Cour ; Monſieur de Corville
avait mis toute la France en mouvement, il avait
ranimé le zele de Monſieur S*** qui s’était
joint à lui pour peindre les malheurs de Théreſe,
& pour lui rendre une tranquillité qui lui était ſi
bien dûe. Il arriva enfin des lettres du Roi qui
purgeaient Théreſe de tous les procès injuſtement
intentés contre elle, qui lui rendaient le titre
d’honnête citoyenne, impoſaient à jamais ſilence
à tous les tribunaux du royaume où l’on avait
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