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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/81

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humain. On l’habillait différemment, mais c’était toujours la même chose. Or, dites-le, Théreſe, de ce que des imbéciles déraiſonnent ſur l’érection d’une indigne chimère & ſur la façon de la ſervir, faut-il qu’il s’enſuive que l’homme ſage doive renoncer au bonheur certain & préſent de ſa vie ; doit-il, comme le chien d’Eſope, quitter l’os pour l’ombre, & renoncer à des jouiſſances réelles pour des illuſions ? Non, Théreſe, non, il n’eſt point de Dieu, la Nature ſe ſuffit à elle-même ; elle n’a nullement beſoin d’un auteur, cet auteur ſuppoſé n’eſt qu’une décompoſition de ſes propres forces, n’eſt que ce que nous appelons dans l’école une pétition de principes. Un Dieu ſuppoſe une création, c’eſt-à-dire un inſtant où il n’y eut rien, ou bien un inſtant où tout fut dans le cahos. Si l’un ou l’autre de ces états était un mal, pourquoi votre Dieu le laiſſait-il ſubſiſter ? Était-il un bien, pourquoi le change-t-il ? Mais ſi tout eſt bien maintenant, votre Dieu n’a plus rien à faire : or, s’il eſt inutile peut-il être puiſſant, & s’il n’eſt pas puiſſant peut-il être Dieu ; ſi la Nature ſe meut elle-meme enfin, à quoi ſert le moteur ? Et ſi le moteur agit ſur la matiere en la mouvant, comment n’eſt-il pas matiere lui-même ? Pouvez-vous concevoir l’effet de l’eſprit ſur la matiere & la matiere recevant le mouvement de l’eſprit qui lui-même n’a point de mouvement ? Examinez un inſtant, de ſang-froid, toutes les qualités ridicules & contra-

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