Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/86

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ſemblablement pas l’honneur de vous appartenir ; je me ſuis ſervie de cette ruſe pour vous ſauver & m’échapper, ſi vous le trouvez bon, avec vous, des mains de ces miſérables ; le moment eſt propice, ajoutai-je, ſauvons-nous ; j’apperçois votre porte-feuille, reprenons-le, renonçons à l’argent comptant, il eſt dans leurs poches ; nous ne l’enleverions pas ſans danger : partons, Monſieur, partons ; vous voyez ce que je fais pour vous, je me remets en vos mains ; prenez pitié de mon ſort ; ne ſoyez pas ſur-tout plus cruel que ces gens-ci ; daignez reſpecter mon honneur, je vous le confie, c’eſt mon unique tréſor, laiſſez-le-moi, ils ne me l’ont point ravi.

On rendrait mal la prétendue reconnaiſſance de Saint-Florent. Il ne ſavait quels termes employer pour me la peindre ; mais nous n’avions pas le temps de parler ; il s’agiſſait de fuir. J’enleve adroitement le porte-feuille, je le lui rends, & franchiſſant leſtement le taillis, laiſſant le cheval, de peur que le bruit qu’il eût fait n’eût réveillé nos gens, nous gagnons, en toute diligence, le ſentier qui devait nous ſortir de la forêt. Nous fumes aſſez heureux pour en être dehors au point du jour, & ſans avoir été ſuivis de perſonne ; nous entrames avant dix heures du matin dans Luzarches, & là, hors de toute crainte, nous ne penſames plus qu’à nous repoſer.

Il y a des momens dans la vie où l’on ſe trouve fort riche ſans avoir pourtant de quoi vivre, c’était