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menter les maux qui m’accablent, veuillez les diminuer en me facilitant les moyens d’échapper aux fléaux qui me pourſuivent.


Le Comte de Bressac, (c’était le nom du jeune homme) entre les mains de qui je tombais, avec un grand fonds de méchanceté & de libertinage dans l’eſprit, n’était pas pourvu d’une doſe très-abondante de commiſération dans le cœur. Il n’eſt malheureuſement que trop commun de voir le libertinage éteindre la pitié dans l’homme ; ſon effet ordinaire eſt d’endurcir : ſoit que la plus grande partie de ſes écarts néceſſite l’apathie de l’ame, ſoit que la ſecouſſe violente que cette paſſion imprime à la maſſe des nerfs, diminue la force de leur action, toujours eſt-il qu’un libertin eſt rarement un homme ſenſible. Mais à cette dureté naturelle dans l’eſpece de gens dont j’eſquiſſe le caractere, il ſe joignait encore dans M. de Bressac, un dégoût ſi invétéré pour notre ſexe, une haine ſi forte pour tout ce qui le caractériſait, qu’il était bien difficile que je parvinſſe à placer dans ſon ame les ſentimens dont je voulais l’émouvoir.

Tourterelle des bois, me dit le Comte avec dureté, ſi tu cherches des dupes, adreſſe-toi mieux ; ni mon ami, ni moi ne ſacrifions jamais au temple impur de ton ſexe ; ſi c’eſt l’aumône que tu demandes, cherche des gens qui aiment les bonnes

œuvres,