quai d’abord en lui qu’une obésité énorme qui gênait assez ses mouvements pour l’empêcher de déployer un reste de grâce et d’élégance dont on retrouvait des traces dans l’ensemble de ses manières. Ses yeux fatigués conservaient cependant je ne sais quoi de brillant et de fin qui s’y ranimait de temps à autre comme une étincelle expirante sur un charbon éteint. Ce n’était pas un conspirateur, et personne ne pouvait l’accuser d’avoir pris part aux affaires politiques. Comme ses attaques ne s’étaient jamais adressées qu’à deux puissances sociales d’une assez grande importance, mais dont la stabilité entrait pour fort peu de chose dans les instructions secrètes de la police, c’est-à-dire la religion et la morale, l’autorité venait de lui faire une grande part d’indulgence. Il était envoyé au bord des belles eaux de Charenton, relégué sous de riches ombrages, et il s’évada quand il voulut. Nous apprîmes quelques mois plus tard, en prison, que M. de Sade s’était sauvé.
« Je n’ai point d’idée nette de ce qu’il a écrit, j’ai aperçu ces livres-là ; je les ai retournés plutôt que feuilletés, pour voir de droite à gauche si le crime filtrait partout. J’ai conservé de ces monstrueuses turpitudes une impression vague d’étonnement et d’horreur ; mais il y a une grande question de droit politique à placer à côté de ce grand intérêt de la société, si cruellement outragée dans un ouvrage dont le titre même est devenu obscène. Ce de Sade est le prototype des victimes extra-judiciaires de la haute justice du Consulat et de l’Empire. On ne sut comment soumettre aux tribunaux, à leurs formes publiques et à leurs débats spectaculeux un délit qui offensait tellement la pudeur morale de la société tout entière qu’on pouvait à peine le caractériser sans danger, et il est vrai de dire que les matériaux de cette hideuse procédure étaient plus repoussants à explorer que le haillon sanglant et le lambeau de chair meurtrie qui décèlent un assassinat. Ce fut un corps non judiciaire, le Conseil d’État, je crois, qui prononça contre l’accusé la détention perpétuelle, et l’arbitraire ne manqua pas l’occasion de se fonder, comme on dirait aujourd’hui, sur ce précédent arbitraire…
« …J’ai dit que ce prisonnier ne fit que passer sous mes yeux. Je me souviens seulement qu’il était poli jusqu’à l’obséquiosité, affable jusqu’à l’onction, et qu’il parlait respectueusement de tout ce que l’on respecte. »
Ange Pitou aurait aussi vu le marquis vers la même époque.