Le portrait qu’il en trace paraît assez véridique. En effet, on sent percer chez Pitou, pour le marquis de Sade, une certaine sympathie que le chanteur royaliste n’eût pas éprouvée à l’égard d’un homme qu’il n’aurait pas connu, que tout le monde dénigrait et que, pour faire comme tout le monde, Pitou lui-même se croit obligé de présenter comme un monstre en qui il découvre, toutefois, des traces de bienfaisance. Voici le récit d’Ange Pitou[1] :
« Dans les dix-huit mois que j’ai passés à Sainte-Pélagie, en 1802 et 1803, attendant mes lettres de grâce, j’étais dans le même corridor que le fameux marquis de Sade, auteur du plus exécrable ouvrage que la perversité humaine ait jamais inventé. Ce misérable était si entaché de la lèpre des crimes les plus inconcevables que l’autorité l’avait ravalé au-dessous du supplice et même au-dessous de la brute en le rangeant au nombre des maniaques : la justice, ne voulant ni salir ses archives du nom de cet être, ni que le bourreau, en le frappant, lui fît obtenir la célébrité dont il était si avide, l’avait relégué dans un coin de prison, en donnant à tout détenu la permission de la débarrasser de ce fardeau.
« L’ambition de la célébrité littéraire fut le principe de la dépravation de cet homme, qui n’était pas né méchant. Ne pouvant élever son vol au niveau de celui des écrivains moraux de premier ordre, il avait résolu d’entr’ouvrir le gouffre de l’iniquité et de s’y précipiter pour reparaître enveloppé des ailes du génie du mal et de s’immortaliser en étouffant toute vertu et divinisant publiquement tous les vices. Cependant, on apercevait encore de lui des traces de quelque vertu, telle que la bienfaisance. Cet homme frémissait à l’idée de la mort et tombait en syncope en voyant ses cheveux blancs. Parfois il pleurait en s’écriant dans un commencement de repentir qui n’avait pas de suite : « Mais pourquoi suis-je aussi affreux, et pourquoi le crime est-il si charmant ? Il m’immortalise, il faut le faire régner dans le monde. »
« Cet homme avait de la fortune et ne manquait de rien ; il entrait quelquefois dans ma chambre, et il me trouvait riant, chantant et toujours de bonne humeur, mangeant sans dégoût
- ↑ Analyse de mes malheurs et de mes persécutions depuis vingt-six ans, par L.-A. Pitou, auteur du Voyage à Cayenne et de Urne des Stuarts et des Bourbons, à Paris, 1816 (p. 98).