et sans chagrin mon morceau de pain noir ou ma soupe de prison. Son visage s’enflammait de colère. « Vous êtes donc heureux ? disait-il. — Oui, monsieur. — Heureux ! — Oui, monsieur. » Puis mettant la main sur mon cœur et gambadant, je lui disais : « Je n’ai rien là qui me pèse, je suis un milord, monsieur le marquis ; voyez, j’ai de la dentelle à ma cravate, à mon mouchoir ; voilà des manchettes de point qui ne m’ont point coûté fort cher et, au lieu de broderie, je vais amener la mode de festanger ou de franger les habits. — Vous êtes fou, monsieur Pitou. — Oui, monsieur le marquis ; mais, dans la misère, j’ai la paix du cœur. » Il s’approchait de ma table, et la conversation continuait : « Que lisez-vous là ? — C’est la Bible. — Ce Tobie est un bon homme, mais ce Job fait des contes. — Des contes, monsieur, qui seront des réalités pour vous et pour moi. — Quoi, des réalités, monsieur, vous croyez à ces chimères et vous pouvez rire ? — Nous sommes fous l’un et l’autre, monsieur le marquis, vous d’avoir peur de vos chimères, moi de rire en croyant à mes réalités. »
« Cet homme vient de mourir à Charenton… Moi je suis libre… »
Il est aussi fait mention du marquis de Sade dans un ouvrage[1] de P.-F.-T.-J. Giraud. Cette note confirme ce que l’on savait déjà de la ténacité, de la volonté, de l’indomptable énergie du marquis :
« De Sade, l’abominable auteur du plus horrible des romans, a passé plusieurs années à Bicêtre, à Charenton et à Sainte-Pélagie. Il soutenait sans cesse qu’il n’avait point composé l’infernale J***, mais M. de G***, jeune auteur qu’il attaquait souvent, le lui prouva de cette manière : Vous avouez les Crimes de l’Amour, ouvrage presque moral qui porte votre nom ; vous ajoutez à ce titre : « Par l’auteur d’Aline et Valcour » et, dans la préface de cette dernière production, pire encore que J***, vous vous déclarez l’auteur de cet infâme ouvrage ; résignez-vous. — Considérée sous les rapports physiologiques, la tête de ce peintre du crime peut passer pour une des plus étranges monstruosités que la nature ait jamais
- ↑ Histoire générale des prisons sous le règne de Buonaparle, avec des Anecdotes curieuses et intéressanles sur la Conciergerie, Vincennes, Bicêtre, Sainte-Pélagie, la Force, le Château de Joux, etc., etc., et les personnages marquants qui y ont été détenus, par P.-F.-T.-J. Giraud, Paris, 1814, in-8.