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LA MARQUISE DE GANGE

priez encore pour celui qui vous persécute ! — Il croit avoir raison ; il est mon époux, je dois respecter jusqu’à son injustice. Il connaîtra peut-être un jour celle qui sut l’aimer avec tant de délicatesse : la récompense m’attend où son aveuglement cessera.

— Quel séjour ! dit l’abbé, en considérant le local. Est-ce donc là que devrait respirer l’heureux modèle des grâces et des vertus ? (Puis toujours affectueusement) : Le marquis vous empêche donc d’écrire ? — Il m’en a ravi les moyens : qu’écrirais-je d’ailleurs que je ne lui aie dit ? S’il n’a pas voulu voir ma justification dans mon cœur, la lira-t-il mieux dans mes écrits ? Cette privation ne m’afflige que parce qu’elle entraîne celle de recevoir de ses lettres : il m’eût été si doux d’arroser de mes pleurs ces traits chéris qui me peignaient autrefois sa flamme ! Que voulez-vous, mon frère ? il faut que je sois privée de tout. Il n’y a plus que de mes pensées qu’on ne pourra le bannir : aussi longtemps que j’existerai, elles se dirigeront vers lui ; et, quels que soient les maux que j’endure, elles feront toujours ma consolation. — Peut-être, dit l’abbé négligemment, peut-être pourra-t-on quelque jour vous en trouver de plus réelles… » Et, ne voulant pas trop s’avancer pour une première fois, il prit congé de sa belle-sœur, en lui promettant de lui faire passer tout ce qui pouvait lui être agréable,