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LA MARQUISE DE GANGE

vivement pressée de rentrer dans un monde si digne de la posséder, elle écouta ses perfides insinuations, et courut bientôt à sa perte, en croyant voler au bonheur.

Que de nouveaux amants reparurent, dès qu’on sut qu’Euphrasie consentait à remplacer enfin les crêpes du veuvage par les roses que l’hymen lui présentait de toutes parts !

Madame de Castellane, qu’on n’avait vue que comme un joli enfant, mérita bientôt dans le monde, le titre de la plus belle femme du siècle. Elle était grande, faite à peindre, des yeux où l’amour même paraissait établir son empire, un son de voix si flatteur, un air d’aménité si profondément gravé sur ses traits, des grâces si naïves et si naturelles, un esprit à la fois si juste et si doux !… Mais, à travers tout cela, une sorte d’impression romantique qui semblait prouver que, si la nature lui avait prodigué tout ce qui pouvait la faire adorer, elle avait en même temps mêlé parmi ses dons tout ce qui devait la préparer à l’infortune ; bizarrerie de sa main, nécessaire sans doute, mais qui paraît convaincre que cette puissance céleste ne nous forma pour sentir le bonheur d’aimer qu’en plaçant au même instant en nous tout ce qui peut nous faire repentir de l’être.

De tous les nouveaux prétendants qui s’offrirent à la belle Euphrasie, le marquis de Gange, possé-