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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/323

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LA MARQUISE DE GANGE

deux, en servant la république de Venise, trouvèrent à ce fameux siège la juste, mais trop glorieuse punition du crime affreux dont ils venaient de se souiller. Alphonse fut tué d’un éclat de bombe et le chevalier périt dans une mine que l’on fit sauter.

La vengeance du ciel fut un instant suspendue sur l’abbé. Il passa en Hollande où un jeune Français lui procura à Autrech la connaissance du comte de la Lippe[1] dont il sut si bien gagner la confiance que, cet homme crédule ne faisant rien sans le consulter, il le chargea de l’éducation de son fils.

Doué de tous les talents que la nature ne devrait accorder qu’à ceux qui ne peuvent en mésuser, Théodore éleva fort bien cet enfant. Il y avait dans la maison une jeune personne très jolie que ce monstre eut l’audace de séduire, au mépris de tout ce qu’il devait à son bienfaiteur ; il osa même la demander en mariage ; mais le Hollandais refusa, à cause de la disproportion qu’il supposait à la naissance. — Qui êtes-vous ? lui dit un jour M. de la Lippe ; je verrai à me décider après. L’imprudent abbé, croyant attendrir au lieu d’effrayer, se nomme… il avoue qu’il est le malheureux abbé de Gange… Le crime encore trop récent fit une telle horreur à M. de la Lippe qu’il voulut le faire arrêter : il l’eût fait si sa femme ne

  1. Cette maison possédait une souveraineté en Allemagne.