Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
LA MARQUISE DE GANGE

cette funeste passion qui me font frémir ! Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle existe ; et quand, pour vous en convaincre, vous aurez besoin de preuves plus fortes, je m’offre à vous les fournir.

Cette assurance que la marquise avait placée dans ses regards s’affaiblit ici par degrés ; peu à peu sa tête se pencha sur son sein ; ses beaux yeux se remplirent de larmes, et des sanglots comprimés retentirent sourdement dans sa poitrine ; tous ses nerfs frémissent, ses membres palpitent l’innocence et la vertu s’alarment avec facilité ; n’employant jamais l’artifice, il est si douloureux, pour des âmes douces de la supposer dans les autres qu’elles aiment presque mieux céder au mensonge que de travailler à connaître le vrai.

Euphrasie voulut employer la force ; elle essaya de se calmer, ce fut en vain ; ses sanglots l’étouffèrent, et les éclats de sa douleur se manifestèrent par des cris. — Alphonse, Alphonse, qu’ai-je donc fait, dit-elle, pour perdre ton amour et ta confiance ? Toi qui m’aimais si tendrement, toi qui n’avais d’instants heureux que ceux que tu passais avec ton Euphrasie… Pourquoi donc la livres-tu maintenant à toutes les horreurs de la jalousie, à tous les tourments de l’abandon ? Ambroisine est donc plus belle que moi, elle t’aime donc mieux, perfide ? Et c’est à elle que tu me sacrifiés ! Mais tu dois me haïr maintenant, mon