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Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 1, 1797.djvu/25

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les premiers pas que je fais dans le monde soient déjà marqués par des chagrins… cette femme m’aimait autrefois, pourquoi me rejette-t-elle aujourd’hui ? Hélas c’est que je suis orpheline et pauvre, c’est que je n’ai plus de ressource sur la terre, et que l’on n’estime les gens qu’en raison des secours et des agrémens que l’on s’imagine en recevoir.

Justine en larmes va trouver son curé ; elle lui peint son état avec l’énergie de son âge ; elle étoit en petit fourreau blanc, ses beaux cheveux négligemment repliés sous un grand, mouchoir de Madras, sa gorge à peine indiquée ne se distinguait presque pas sous la double gaze qui la dérobait à l’œil libertin, sa jolie mine un peu pâle à cause des chagrins qui la dévoraient ; quelques larmes roulaient dans ses yeux, et leur prêtaient encore plus d’expression… Il était impossible d’être plus belle ; vous me voyez, monsieur, dit-elle, au saint ecclésiastique… oui, vous me voyez dans une position bien affligeante pour une jeune fille : j’ai perdu mon père et ma mère ; le ciel me les enlève dans l’âge où j’ai le plus besoin de leurs secours ; ils sont morts ruinés, monsieur, je n’ai plus rien ; voilà tout ce qu’ils m’ont