Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 1, 1797.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ton infâme Dieu, ma fille ; sa justice céleste, ses châtimens ou ses récompenses, toutes ces platitudes-là ne sont bonnes que pour des imbécilles, et tu as trop d’esprit pour y croire, O Justine ! la dureté des riches, légitime la mauvaise conduite des pauvres ; que leurs trésors s’ouvrent à nos besoins ; que l’humanité règne dans leur cœur, et les vertus pourront s’établir dans le nôtre ; mais tant que notre infortune, notre patience à la supporter, notre bonne-foi et notre asservissement, ne serviront qu’à doubler nos fers, nos crimes deviendront leur ouvrage : eh ! nous serions bien dupes de nous les refuser, quand ils peuvent amoindrir le joug dont leur cruauté nous surcharge ; la nature nous a créé tous égaux, Justine ; si les injustes rigueurs du sort se plaisent à déranger ce premier plan des loix générales, c’est à nous d’en corriger les caprices, et de réparer par notre adresse les usurpations du plus fort ; j’aime à les entendre, ces gens riches, ces gens titrés, ces magistrats, ces prêtres ; j’aime à les voir nous prêcher la vertu ; il est bien difficile de se garantir du vol, quand on a trois fois plus qu’il ne faut pour vivre ; bien mal-aisé de ne jamais concevoir le meurtre, lorsqu’entouré sans