Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 2, 1797.djvu/201

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ceaux broyés par les dents d’ivoire de notre héroïne : Omphale la branlait pendant qu’elle dévorait. J’aime à mêler ces deux plaisirs, disait-elle ; je n’en connais pas qui s’accordent mieux ; et versant à Justine de grandes rasades de vin de Champagne, elle cherchait à arracher de l’égarement de cette fille, ce qu’elle sentait bien ne pouvoir obtenir de sa raison. Mais Justine ne se troubla jamais, et Victorine voyant qu’elle ne répondait pas mieux après le souper qu’avant à toutes les attaques qui lui étaient portées, la renvoya coucher avec humeur, en lui annonçant que de tels procédés ne contribueraient pas à lui rendre sa captivité bien douce. Eh bien, madame, dit-elle en se retirant, je souffrirai ; je suis née pour la douleur, je remplirai ma carrière aussi long-tems qu’il plaira au ciel de me laisser languir dans le monde ; mais au moins je ne l’offenserai pas : cette consolante idée rendra mes peines moins amères. La directrice garda, pour sa nuit, Omphale et les deux jeunes gens. Justine apprit le lendemain à quelles horreurs elle eût été contrainte, si elle n’eût pas été renvoyée. Il a fallu que je les souffrisse à ta place, dit Omphale ; mais heureusement que l’habitude m’assouplit main-